1. Qu’avez-vous fait depuis votre année de formation au sein du Master, et quelle est votre activité actuelle ?
J’ai effectué mon stage de Master en 2007 dans l’équipe de production déléguée de Nuit Blanche Paris. J’y étais assistant du directeur technique, Nicolas Champion. Ce fut une rencontre déterminante puisque je l’ai ensuite accompagné dans toutes les entreprises remportant les marchés publics de production déléguée de Nuit Blanche jusqu’à aujourd’hui. J’y ai d’abord été adjoint de direction technique, avant d’occuper, depuis 2014 et pour les prochaines éditions, la codirection technique de l’évènement.
Entre les périodes de production de Nuit Blanche et jusque 2013, j’ai travaillé en tant que chargé de production sur le festival la Folle Histoire des Arts de la Rue avec Karwan à Marseille, le festival de jazz et musiques improvisées Banlieues Bleues en Seine Saint-Denis et la compagnie de danse contemporaine Alain Buffard.
En 2015, avec Nicolas Champion et une troisième collègue, nous avons fondé Playtime, structure (sarl) de direction technique de projets culturels et artistiques qui a la spécificité de travailler les espaces en friches et l’art dans l’espace public. Nous travaillons actuellement pour des organisations publiques ou privés (collectivités, associations, entreprises) à l’ouverture au public, temporaire ou pérenne, de friches (ancien hôpital, ancienne gare/entrepôt), sur le projet artistique et culturel du Grand Paris, et à l’élaboration du plan programme pour la petite ceinture parisienne.
Parallèlement à cette activité de direction technique, avec Marion Aubin (urbaniste), nous avons créé l’association Point de Rassemblement qui vise à développer la capacité d’agir citoyenne dans la ville et l’espace public. Nos pratiques professionnelles nous questionnaient sur la fabrique de la ville et la reconnaissance de la capacité d’artistes et d’architectes/urbanistes à énoncer un acte pérenne ou éphémère alors que celle des habitants/citoyens à être acteur de leur environnement est très rarement prise en compte. Depuis 2009, nous inventons des projets qui impliquent les individus dans l’amélioration de leur quotidien et cherchent la coopération entre populations, décideurs, professionnels, au service de ce cadre de vie. En collaboration avec les Saprophytes (collectif poético-urbain), nous avons construit avec les habitants de l’ilot Colombier et les services de la ville de Bezons, le projet du « Germoir » dans un quartier en requalification urbaine ANRU (photo). Trois ans d’échanges ont permis l’élaboration d’une guide de quartier/carte subjective puis la mise en place du « Germoir », lieu de jardinage auto-construit et auto-géré avec un espace de réunion et des jeux pour enfants. Depuis 2013, nous travaillons à la ré-appropriation des espaces extérieurs en pieds d’immeubles de la Grande-Borne à Grigny : la mobilisation des habitants et des structures locales autour de la compréhension partagée des ressources du territoire s’est élaborée autour de balades thématiques suivies d’une exposition des pépites (ressources) découvertes en cheminant. Ces balades nous ont permis de repérer des initiatives individuelles d’appropriation existantes qui ont fait l’objet de formation vers les services de la ville et du bailleur pour les pérenniser et les mettre en réseau. Les structures locales se sont actuellement emparées de la démarche pour faire pousser un jardin partagé et solidaire dans le quartier.
D’autres initiatives en Ile-de-France nous ont amené à réfléchir avec les populations locales, la création de mobilier urbain, de signalétique, d’aménagement d’espace public à travers des démarches qui ont pour objectif la mise en capacité des individus à construire une réponse à ses besoins. Notre rôle est celui de médiateurs (entre professionnels, décideurs et populations) qui visent à faire émerger cette parole, la reconnaitre et engager les participants sur des réels possibles. Pour que l’espace public devienne un lieu de fabrication collective, il faut que ces réels possibles soient énoncés clairement dès le début : diagnostic, réalisations éphémères, travaux pérennes. L’art et à la culture sont ici des outils dans un processus organisé autour d’étapes d’immersion/compréhension des besoins, de test grandeur nature et de réalisation.
2. Que défendez-vous ?
La capacité de chaque individu à être auteur de son environnement. L’acte de fabriquer la ville, le paysage, l’espace public doit être partagé à l’ensemble des individus. La reconnaissance de l’expertise d’usage des habitants et de leur capacité à être concepteur/co-auteur de leur cadre de vie est un des principaux enjeux de cette relation art/culture/population/territoire. C’est une question liée à celle de la reconnaissance des droits culturels et de la dignité des personnes. Il faut pouvoir accompagner la « personne » à exprimer sa vision du monde, sa culture. C’est à partir de la reconnaissance et de l’interaction de ses paroles individuelles que se construit du « commun », à l’opposé du repli identitaire que l’on nous propose. L’espace public est un espace d’usages multiples, où se croisent les cultures, où il faut gérer les conflits et susciter la coopération pour le fabriquer collectivement. Les pratiques artistiques et culturelles dans l’espace public se suffisent à elles-mêmes par ce qu’elles produisent (du sens, de l’imaginaire, etc) ; c’est ce que je défends dans mon activité de direction technique. Et elles sont aussi un formidable outil au service de cette approche qui encourage l’individu dans sa capacité à penser et à produire son espace de vie, à s’émanciper.
3. Quels sont les enjeux culturels majeurs actuellement à vos yeux ?
Un mouvement de jeunes professionnels poursuit le travail, qui fait référence, de structures plus anciennes. Il renouvelle ces pratiques qui visent l’empowerment des individus et réussi aujourd’hui légèrement à bousculer la standardisation de la fabrique de la ville et du territoire à l’œuvre depuis 50 ans.
Parallèlement, on sent un léger frémissement de la puissance publique et d’un très petit nombre d’opérateurs privés vers ce type de pratiques. L’un des enjeux culturels majeurs, en France notamment, est de convaincre du bien-fondé et de la bienveillance de ces démarches horizontales qui viennent compléter la distribution verticale du pouvoir. Cela passe par la formations des élus et des techniciens des pouvoirs publics pour une meilleure appréciation des enjeux : opter pour des temps de projets longs, la possibilité de l’échec dans l’expérimentation, la capacité de chacun à définir son bien-être, des financements assurant la viabilité économique des projets en dehors du bénévolat. Cela passe aussi par une nécessaire clarification des pratiques dites « participatives ». Toutes ne reposent pas sur un objectif d’émancipation des populations impliquées. Sans ces mises au point, il y a un risque de voir ces démarches être cantonnées à un rôle d’animation et d’évènementialisation du territoire.
4. Que voulez-vous faire dans les 10 prochaines années, quelles idées voulez-vous défendre ?
Encore me laisser surprendre et emmener par des rencontres, et les susciter en poursuivant ces deux activités qui se nourrissent l’une de l’autre ! La direction technique de projets artistiques et culturels dans l’espace public est un métier enrichissant, toujours renouvelé dans l’attention portée aux artistes et au public pour permettre la meilleure réalisation des œuvres et offrir les conditions optimales de réception. Avec Point de Rassemblement, nous réfléchissons actuellement aux conditions techniques et économiques de production des projets : pour conserver une double activité, nous pensons privilégier l’implantation de cette démarche sur notre lieu de vie personnelle, pour améliorer directement notre propre cadre de vie. D’autres idées aussi autour du Grand-Paris et de l’émergence d’un imaginaire grand-parisien populaire et partagé. Nous avons également l’envie de produire de la connaissance à destination des décideurs et s’inscrire dans la mise en réseau de ce mouvement pour participer à l’invention de nouvelles politiques publiques pour le développement de ces démarches innovantes. En bref, continuer à promouvoir ces démarches participatives, artistiques et culturelles qui transforment la façon de concevoir l’aménagement des territoires et les programmes d’urbanisme vers des projets plus partagés, plus humains.
Antoine Cochain (2ème promotion du Master, 2006-2007) est fondateur de Playtime, société de direction technique de projets culturels et artistiques, et de l’association Point de Rassemblement qui vise à développer la capacité d’agir citoyenne dans la ville et l’espace public.